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L e   c o i n   d e s   a m i s

Stephen Jourdain par Raymond Oillet

 

 Deux  décennies  passées,  je  suis  persuadé  aujourd'hui  que  les  intuitions  majeures  fondues sur le jeune Stephen Jourdain avaient modifié toute la destinée de l'homme, tout son avenir. Je dirais même qu'elles avaient empêché cet homme de 'devenir', mais j'entends bien : devenir un homme ordinaire plié aux contradictions d'humeurs et d'obligations sociales.

De but en blanc, Stephen Jourdain découvrit que le monde naissait maintenant, efflorescence d'idées pures dans le jardin unique d'un seul moi conscient vivant. C'est à peine si les philosophes mesurent le problème : ils en sont encore à conjecturer, et à disputer bien sûr, empêtrés comme on sait de rationalités à géométrie variable... Qui témoignerait de cette fracture inexplicable de l'éternité au repos, engendrant une individualité fluant au mouvement irrésistible de ses sentiments et de ses pensées ? Et j'ajoute : ceux-ci, pensées et sentiments reflétant (et reflétant exactement) la finalité de toute existence, sans autre raison, par l'exclusive légitimation d'un acte de pure création obéissant (mais sait-on ?) au désir du Seul, à son expansive richesse intrinsèque, à son pouvoir (sur)naturel de débordement.

Fidèle à lui-même (avait-il le choix ?) - fidèle à cette seconde naissance - poussé dans ce courant inconnu et imprévisible, Stephen Jourdain vécut ses destinées. On l'a assez dit : enfant unique né d'une famille privilégiée d'intellectuels et d'artistes célèbres, parisiens, il allait forcément suivre le sillon de cette destinée-là. Initié au plus haut degré concevable de connaissance - ce qu'on appelle en philosophie, mais c'est un à-peu-près, le 'réalisme des essences' - il allait devoir poursuivre une explication, lisant, écoutant les prétendants au savoir absolu, désobéissant (forcément), se rebellant même, et finalement parvenant à 'le' dire : que c'est l'impression aurorale de la donation en première personne qui est seule vérité, et que c'est une vérité fluante, passante, qui ne fixe rien dans l'absolu où palpite l'inconnaissable Seul, notre Maître à tous, son seul Maître intérieur à lui, Stephen Jourdain.

J'ai connu plusieurs facettes de Stephen Jourdain : l'instant commandait, l'inspiration unique, la dictée du 'premier' sens offert, jaillissant ; un Stephen Jourdain forcément modulé sinon modelé par le temps. Libre des vérités conceptuelles, il était libre aussi de lui-même ! Maintenant qu'il est parti, l'ami, puisse se poursuivre l'enseignement d'un des plus incomparables exemples et témoignages d'humanité.

A very private matter disait-il !